Il est prudent, méthodique et d’une efficacité redoutable. Il ne répond à aucune attaque, ne donne aucune entrevue. Derrière son voile d’impartialité, il abat une à une ses cartes. Le procureur spécial Robert Mueller semble tranquillement tisser sa toile autour de Donald Trump. Mais le président américain n’a pas encore dit son dernier mot, préviennent les experts.
Les nouvelles sont tombées coup sur coup, mardi. D’abord, l’ex-avocat personnel de Donald Trump, Michael Cohen, plaidait coupable à des accusations de fraude fiscale et bancaire et de violation des lois sur le financement électoral. Puis, moins de deux heures plus tard, un jury déclarait l’ex-directeur de campagne de Trump, Paul Manafort, coupable de fraude bancaire et fiscale. Un véritable mardi noir pour le président Trump.
Bien que les deux procès ne soient pas directement liés à l’enquête sur la possible collusion entre le clan Trump et la Russie lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, ils portent la signature du procureur Mueller, puisqu’elle a été déclenchée dans la foulée des informations déterrées par son équipe. Une véritable enquête tentaculaire qui a déjà mené à 33 inculpations depuis un an.
L’ouverture de rideau
S’appuyant sur des faits, les deux enquêtes démontrent que des membres de la garde rapprochée de Trump sont prêts à violer des lois.
Méticuleux, Mueller place ainsi savamment ses pions sur l’échiquier. Tranquillement, une idée fait son nid : si « ces gens sont capables de contourner les règles et les lois pour atteindre leurs objectifs, peut-être ont-ils triché dans le dossier de l’ingérence russe ? » analyse Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.
« Ce n’est que le début », pointe pour sa part Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.
« On est encore dans la phase de préparation du dépôt du rapport Mueller. Ce n’est que l’ouverture de rideau », avance-t-il.
L’équipe du procureur Mueller solidifie les fondations sur lesquelles elle bâtit successivement des étages à « cet édifice de violation de règles et de lois » qui mèneront, prédit M. David, jusqu’à des accusations d’entrave à la justice.
Déjà, mardi, Michael Cohen — celui qui se disait prêt à « prendre une balle » pour le président — incriminait Donald Trump. Dans une déclaration sous serment, l’avocat affirme que c’est à la demande du « candidat » et « pour influencer l’élection » qu’il a payé deux femmes pour qu’elles gardent le silence sur leurs liaisons avec Trump.
Avec un pied dans l’engrenage, Cohen pourrait-il être tenté de se mettre entièrement à table en échange d’une réduction de sa peine ? « C’est la grande question qu’on se pose depuis le début : s’il y a eu de mauvais agissements et si certaines personnes finissent par parler, comment Trump pourra continuer à se défendre ? » se demande Frédérick Gagnon.
L’avocat de Cohen, Lanny Davis, a déclaré mercredi sur la chaîne MSNBC que son client « a des informations qui seraient intéressantes pour le procureur spécial, concernant tant la connaissance [par la campagne Trump] d’une conspiration russe pour corrompre la démocratie américaine que leur refus de transmettre cette information au FBI ».
Encore faut-il que Michael Cohen ait en sa possession des preuves tangibles de collusion. Et c’est sans oublier que même avec un genou au sol, Donald Trump a une stupéfiante capacité à rebondir.
Un «spin doctor» hors pair
Frédérick Gagnon se garde bien de prédire la chute prochaine du milliardaire. « Oui, l’étau se resserre un peu, mais il est tellement habile pour se tirer d’affaire. C’est un fabricant d’opinions hors pair », souligne-t-il.
Déjà mercredi matin, Donald Trump dégainait ses premières répliques sur Twitter. M. Cohen a « cédé » face à la pression des enquêteurs et « inventé des histoires pour obtenir la clémence [des procureurs] », a-t-il écrit. Puis, sur Fox News, le président assurait n’avoir pris connaissance des paiements que « plus tard ».
« Ce n’est même pas une infraction aux lois électorales », a-t-il martelé. Les fonds « ne venaient pas de l’équipe de campagne, ils venaient de moi », a-t-il ajouté.
Des répliques qui trouvent facilement écho dans la base électorale « inébranlable » de Trump, observe Charles-Philippe David.
Oui, l’étau se resserre un peu [sur Donald Trump], mais il est tellement habile pour se tirer d’affaire. C’est un fabricant d’opinions hors pair.
Et puisqu’un président en exercice ne peut être poursuivi en justice, le jugement reviendra aux Américains par le biais des élections de mi-mandat. Si au soir du 8 novembre prochain la majorité au Congrès basculait aux mains de démocrates, une hypothétique procédure de destitution pourrait être entamée.
Imprévisible, le milliardaire pourrait également brouiller les cartes en décidant d’octroyer un pardon présidentiel à Michael Cohen et Paul Manafort ou encore en cédant à la tentation de limoger le procureur Mueller.
L’establishment politique pourrait alors se retrouver face à un choix cornélien, devant décider, face à une démocratie en danger, si « on suit les règles de droit ou les règles de l’opinion publique », estime M. David.
« Ce sera alors un test historique pour la démocratie américaine », croit le politologue.
Avec le Devoir
Application de CComment' target='_blank'>CComment